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23 avril 2012

Optimisation de la production de lipides d'intérêt chez la levure par génie génétique

Date de publication : 10 févr. 2012

Céline BOULARD, Marine FROISSARD

INTRODUCTION

Résumé : la réduction de l'utilisation des produits issus du pétrole dans le contexte économique et écologique actuel conduit à se tourner vers des matières premières durables et biosourcées. Les lipides sont des molécules clés pour la production de biodiesel et de produits issus de la chimie verte. Les levures sont des cellules de choix pour la production de lipides à façon. La combinaison d'approches d'ingénierie métabolique et de génie génétique permet d'optimiser la production de ces molécules d'intérêt. L'utilisation de connaissances acquises sur le stockage des lipides chez les plantes et chez S. cerevisiae amène à développer des systèmes cellulaires innovants de production d'énergie renouvelable.

Abstract: the decrease of petroleum product usage due to economic and ecologic present context leads to find renewable and durable raw material. Lipids are key molecules for the production of biofuel and green chemistry products. Yeasts are of interest for designed lipid production. The association of metabolic and genetic approaches allows to optimize production of useful molecules. The use of knowledge on lipid storage in plants and in S. cerevisiae leads to develop innovative cell systems for renewable energy production.

Avec l'augmentation de la population mondiale, les demandes en énergies s'accroissent alors que les énergies fossiles se raréfient. Les aspects (i) économiques, l'augmentation du prix du pétrole, l'indépendance énergétique et (ii) écologiques, la lutte contre les gaz à effet de serre responsables des changements climatiques, la diminution des pollutions environnementales, amènent au remplacement du pétrole par d'autres sources d'énergies ayant un impact environnemental moins important De plus, on observe depuis la seconde moitié du XXe siècle l'explosion de l'utilisation de produits issus de la pétrochimie (plastiques, textiles, résines synthétiques, détergents et engrais). Ces productions font du pétrole la première matière première minérale. La nature non renouvelable de cette ressource, ainsi que les considérations écologiques évoquées plus haut, font qu'il est indispensable de préparer l'après pétrole pour les industries chimiques.

Les industriels se tournent alors vers des procédés dits « de chimie verte ».

La chimie verte se réfère à l'ensemble des principes et des techniques employant si possible des ressources renouvelables et permettant de réduire ou d'éliminer l'emploi de produits toxiques pour l'homme ou d'utiliser des produits ayant une empreinte écologique plus faible .

Il en découle des réglementations européennes (par exemple la réglementation REACH adoptée le 18 décembre 2006 au Parlement européen) dont les objectifs sont la diminution de l'utilisation industrielle des produits chimiques toxiques, la gestion des déchets par des systèmes de recyclages et l'incorporation des biocarburants à hauteur de 10 % en 2020.

2. Chimie verte du carbone renouvelable et biocarburants

L'utilisation de la biomasse comme source de matière première de substitution aux produits pétroliers est actuellement la filière majeure pour la production:

des matériaux biosourcés tels que les panneaux d'isolation thermique en laine de chanvre ou de lin, les flocons d'amidon de maïs ; des énergies renouvelables et biocarburants (bioéthanol, biodiesel, biogaz).

Ces produits, répondant au concept de développement durable, sont plus respectueux de l'environnement car recyclables ou biodégradables .

La première génération de biocarburants était issue :

de la biomasse végétale entrant aussi dans la filière alimentaire (betterave, canne à sucre) pour produire du bioéthanol ; des huiles végétales provenant des graines de plantes oléagineuses (colza, tournesol) pour obtenir du biodiesel après transestérification des huiles. Cette réaction chimique est une action des alcools sur les huiles pour former les composants combustibles du biodiesel : les esters méthyliques d'acide gras ou FAME (Fatty Acid Methyl Esters) (voir plus loin).

Le manque de compétitivité, les difficultés d'extraction, les rendements énergétiques défavorables et la compétition avec les filières alimentaires dans un contexte ou un milliard de personnes souffrent de malnutrition, ont rendu la production des biocarburants de première génération peu attractive.

D'autres alternatives sont à présent développées afin de produire des biocarburants de seconde génération (bioéthanol et biogaz). Cette nouvelle filière n'utilise plus les ressources végétales ayant une valorisation alimentaire (sucres et huile) mais plutôt des plantes dédiées (Miscanthus, Jatropha) ou des résidus végétaux (paille de blé, raffles de maïs, taillis à courte rotation, résidus ligno-cellulosiques divers). Les carburants de troisième génération (bioéthanol, biodiesel et biogaz) sont également en émergence. Des procédés biotechnologiques sont à ce jour développés afin d'utiliser des micro-organismes (levures, bactéries, algues) . En effet, la production d'huile (précurseur du biodiesel) n'est pas une spécificité des eucaryotes pluricellulaires comme les plantes ou les animaux car le métabolisme lipidique est présent chez tous les organismes. La production des micro-organismes peut être orientée plus facilement vers la biosynthèse de « lipides à façon » répondant à un cahier des charges précis que ce soit pour des biocarburants spécifiques ou des précurseurs de synthèse (synthons) pour la chimie verte. En ce qui concerne le biodiesel, sa qualité dépend de la composition chimique des huiles utilisées (impuretés, composition en acides gras et teneur en eau) et de ses propriétés physiques (titre, teneur calorifique). La composition en acides gras (libre, longue chaîne, insaturé) est déterminante dans la caractérisation des paramètres physique des biodiesels : l'indice de cétane est le révélateur de la qualité de combustion. Cet indice dépend de la quantité d'acides gras à longue chaîne et insaturés présents dans l'huile

3. Corps lipidique : organite cellulaire de stockage des huiles

Les huiles nécessaires à la production de dérivés pour la chimie verte (biodiesel, détergents, lubrifiants...) sont contenues dans des structures cellulaires appelées « corps lipidiques » (CL). Ils sont présents chez la plupart des organismes, de la bactérie aux mammifères et plantes (1). Les corps lipidiques sont constitués d'un cœur de lipides neutres (triglycérides et esters de stérols), entourés par une monocouche de phospholipides dans laquelle est inséré un nombre variable de protéines .

Schema1

Figure 1 - .Le corps lipidique, organite de stockage des lipides de réserves (Photos : a) équipe Dynamique et structure des corps lipidiques ; b) mycélium de Streptomyces lividans observé au microscope optique objectif x100 en lumière visible ; c) levures Saccharomyces cerevisiae observées au microscope optiqueobjectif x100 en lumière visible ; d) Arabidopsis thaliana en culture sous serre.)

Ces inclusions lipidiques peuvent en effet être purifiées et leurs contenus analysés grâce à une combinaison de méthodes biophysiques et biochimiques (2).

Ainsi, des approches de protéomique ont permis l'identification des protéines associées aux corps lipidiques de différents organismes ou types cellulaires.

Les résultats montrent une grande variabilité allant de trois protéines identifiées chez le ricin à plusieurs centaines chez les mammifères. Le corps lipidique apparaît comme un organite complexe et dynamique, présentant des statuts métaboliques variés, et non comme un dépôt inerte de graisse.

Schema2

Figure 2 - Méthodes de purification et d'analyse des corps lipidiques

On distingue deux grandes formes de corps lipidiques. Premièrement, des formes actives et dynamiques qui sont le siège de nombreuses réactions métaboliques (synthèse et dégradation de lipides) et qui sont porteuses d'un panel de protéines très varié (enzymes, protéines du trafic intracellulaire...).

Deuxièmement, des formes inertes et métaboliquement inactives, qui sont l'aboutissement d'un stockage de lipides accru au sein de cellules dédiées (cellules de graines oléagineuses chez les plantes ou d'adipocytes chez les mammifères). Ces corps lipidiques spécialisés dans le stockage sont souvent porteurs d'un tapis de protéines structurales qui sont ancrées fortement dans la monocouche de phospholipides et qui assurent la stabilisation et la protection contre la dégradation des lipides.

Les corps lipidiques peuvent passer du statut inactif au statut actif, et vice versa, en réponse à des signaux cellulaires. Par exemple, lors de la germination d'une graine, une augmentation de la température et de l'hygrométrie induit la mobilisation des lipides stockés dans les corps lipidiques.

4. Utilisation des micro-organismes pour la production de lipides à façon, exemple du biokérosène

Depuis une trentaine d'années, l'utilisation des micro-organismes tels que les bactéries, les microalgues et les levures a été envisagée pour la production de lipides. La première huile issue d'un micro-organisme (le champignon Mucor circinelloides) a été mise sur le marché en 1985 et était vendue pour sa forte teneur en acide ?-linolénique, un acide gras polyinsaturé (C18:3, n-6) mais le procédé n'était pas économiquement viable .

L'utilisation des micro-organismes permet de s'affranchir de la contrainte du sol liée à l'utilisation de plantes de grandes cultures (colza, tournesol). De plus, les procédés de production de biomasse dans des enceintes confinées et contrôlées permettent d'obtenir des cultures de micro-organismes plus performantes grâce à la combinaison d'approches de génie microbiologique et de génie génétique. En effet, la maîtrise des paramètres de culture obtenue par des approches d'ingénierie métabolique permet l'optimisation de la production de lipides en fermenteurs . Chez les levures, l'accumulation de l'huile dans les corps lipidiques est dépendante des conditions de culture comme le ratio C/N, la source d'azote, la concentration en sels dans le milieu de culture . De plus, les souches utilisées peuvent être choisies en fonction de leur capacité naturelle à stocker les lipides. On peut se tourner vers un micro-organisme oléagineux. Un micro-organisme lipogène ou oléagineux est une cellule capable d'accumuler au minimum 20 % de sa masse sèche en lipides, essentiellement sous forme de triglycérides dans les corps lipidiques. Les quantités et les classes d'acides gras stockés varient d'une espèce à l'autre. La levure Rhodotorula glutinis et certaines microalgues marines stockent plus de 70 % de leur masse sèche en lipides (1) . Il est aussi possible d'envisager la production d'huiles riches en acides gras polyinsaturés qui présentent un intérêt majeur pour la chimie verte mais aussi en nutrition (compléments alimentaires). Les micro-organismes produisent également des acides gras originaux branchés qui peuvent être exploités pour leurs propriétés physico-chimiques .

Composition en lipides et profils en acides gras de souches de levures oléagineuses (g de lipides . g de matière sèche-1) [7]

Certaines souches peuvent également être modifiées génétiquement pour la production de lipides à façon, en jouant sur la quantité et la nature des molécules produites. Des résultats concluant ont été obtenus en surexprimant des enzymes de la voie de biosynthèse des acides gras. La surexpression de l'enzyme malique chez Mucor circinelloides permet une accumulation en lipides accrue d'un facteur 2,5 . Chez Yarrowia lipolytica, une combinaison de délétion de gènes aboutissant à une redirection des flux de carbone et une diminution de la beta-oxydation des acides gras a permis une augmentation des lipides d'un facteur.

2,2 .Dans le cas de la production de biokérosène, les acides gras produits doivent répondre à des contraintes d'usages particulières, spécificités techniques des moteurs, intervalles de température de fusion entre – 50 °C et + 50 °C. Pour répondre à ce dernier point, il est nécessaire d'avoir un biokérosène contenant des molécules avec un point de fusion bas, ce qui s'obtient grâce à une augmentation du degré d'insaturation ou une diminution de la longueur de la chaîne carbonée des acides gras. Notre laboratoire reçoit le soutien financier de partenaires publics et privés pour ces travaux de recherche visant à développer des systèmes performants de production de lipides à façon (projet LIPICAERO, 2008-2010, soutenu par le programme national de recherche sur les bioénergies (PNRB) de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ; projet CAER, 2011-2015, soutenu par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), projet Streptomyces soutenu par l'Organisation nationale interprofessionnelle des graines et fruits oléagineux (ONIDOL)).

5. Levure de boulangerie pour la production de lipides à façon

Les micro-organismes en cours d'étude ou déjà utilisés pour la production de lipides pour la chimie verte et le biodiesel vont des bactéries (Streptomyces) aux cellules eucaryotes unicellulaires comme les algues et les levures. En ce qui concerne l'utilisation des levures, deux approches sont possibles.

Premièrement, l'utilisation de levures oléagineuses qui présentent de forts taux d'accumulation de lipides (voir ci-dessus), on en connaît actuellement 25 espèces (pour plus de 600 espèces de levures recensées) (1). Ce choix pose à l'heure actuelle quelques problèmes techniques. D'une part, la croissance de ces souches en fermenteur n'est pas complètement maîtrisée. Même si les facteurs déclenchant l'accumulation du stockage des lipides (carence nutritionnelle, température de culture, pH) et les voies métaboliques mises en jeu (glycolyse, formation de l'acétyl-CoA, cycle du citrate...) sont connus, chaque souche répond de manière différente lorsque ces paramètres sont ajustés lors de la culture en fermenteurs. Un des paramètres clés chez Yarrowia lipolytica est la valeur du ratio C/N. Celui-ci doit être finement ajusté pour éviter l'accumulation d'acide citrique au détriment des lipides après la phase de croissance .

Pour d'autres levures, on peut également observer une bascule vers la synthèse d'éthanol ou de sucres (glycogène, tréhalose, glycanes, mannanes) .

D'autre part, les outils de génie génétique ne sont pas toujours disponibles pour aller vers une production à façon (génomes non séquencés, codes génétiques particuliers, pas de technique fiable pour la modification de gènes). Actuellement, les équipes de recherche sont à l'œuvre pour lever ces verrous techniques.

La deuxième approche concerne l'utilisation d'une levure non oléagineuse comme Saccharomyces cerevisiae. La levure de boulangerie est le champignon unicellulaire le plus connu. Sa production en masse est maîtrisée et elle est déjà bien utilisée dans l'industrie agroalimentaire pour sa capacité à réaliser une fermentation alcoolique (production de bière et de vin) et une fermentation panaire produisant de gaz carbonique (production de pain) . De plus, la communauté scientifique dispose d'une très bonne connaissance du métabolisme des lipides et d'outils de génie génétique performants pour cette levure. Ce dernier point permet d'envisager une production de lipides à façon répondant à des contraintes d'usage strictes, décrites plus haut dans cet article.

6. Expression d'une protéine de plante chez Saccharomyces cerevisiae : un exemple de génie génétique pour l'amélioration de la production de lipides

6.1 Présentation du système d'expression hétérologue

6.2 Détermination de la localisation de AtClo1-GFP dans les cellules par la technique de colocalisation en microscopie optique

La teneur en acides gras totaux chez Saccharomyces cerevisiae représente environ 5 % de sa masse sèche. Cette teneur peut varier en fonction des conditions de culture, comme mentionné précédemment. Nous avons cherché à savoir s'il était possible d'identifier d'autres approches permettant d'augmenter les capacités de stockage en lipides chez cette levure. Pour cela nous avons ciblé notre travail sur l'organite de stockage des lipides : le corps lipidique. S. cerevisiae ne contient généralement que quelques corps lipidiques de petites tailles (de 150 à 200 nm de diamètre). Notre hypothèse de travail étant qu'en jouant sur la taille du corps lipidique il devrait être possible d'augmenter les capacités de stockage des cellules. Pour cela nous nous sommes intéressés aux protéines structurales qui étaient associées aux corps lipidiques spécialisés dans le stockage accru des lipides comme dans les adipocytes ou les graines de plantes. Dans la graine, il s'agit de la famille des oléosines. Il n'existe pas de protéine équivalente chez S. cerevisiae.

Dans la graine, il y a principalement trois familles de protéines liées aux corps lipidiques qui sont les oléosines, les stéroléosines, et les caléosines.

Certaines de ces protéines, oléosines et caléosines, sont ancrées fortement dans le corps lipidique et ont en commun une structure dite « triblock », composée de deux domaines hydrophiles situés en N-terminal et C-terminal, et d'un long domaine central hydrophobe, allant jusqu'à 70 acides aminés . Chez Arabidopsis thaliana il existe cinq oléosines et une caléosine allant de 15 à 30 kDa. Chez le colza, les protéines intégrales du corps lipidique sont retrouvées en plus grand nombre. Une analyse du protéome des corps lipidiques de colza a permis d'identifier 19 séquences codant pour des oléosines et neuf pour des caléosines. Ces protéines présentent une grande conservation avec les protéines d'Arabidopsis thaliana .

Les oléosines sont les protéines majoritaires du corps lipidiques. Elles ont un rôle dans la régulation de la taille des oléosomes . La caléosine, AtClo1, est une protéine mineure des corps lipidiques végétaux, elle est impliquée dans la réponse aux stress . AtClo1 est une protéine à activité peroxygénase et est capable de fixer le calcium. L'étude de plantes déficientes en caléosine montre que la protéine a un rôle dans la dégradation des corps lipidiques lors de la germination. De plus, AtClo1 a un rôle de stabilisation des corps lipidiques reconstitués in vitro. Toutefois, son rôle exact sur le stockage des lipides dans la graine reste inconnu .

6.1 Présentation du système d'expression hétérologue

Afin d'évaluer la capacité de la protéine AtClo1 à modifier la structure du corps lipidique de S. cerevisiae et ainsi de modifier son contenu en lipides de stockage, nous avons utilisé un système d'expression hétérologue. La séquence codante de AtClo1 est insérée dans le vecteur d'expression multicopies 2 µ (plusieurs centaines de copies par génome) pNBT29 entre le promoteur inductible GAL et la séquence codant la GFP (Green Fluorescence Protein). Cette construction permet l'expression contrôlée d'une protéine de fusion AtClo1-GFP portant une étiquette fluorescente en C-terminal qui permet de localiser la protéine exprimée dans la levure (3).

La souche de levure BY4741 (Mata, his3?, leu2?, met15?, ura3?) sert de souche réceptrice pour la construction. Le vecteur est maintenu dans les cellules grâce à la pression de sélection. La souche est auxotrophe pour l'uracile (ura-), c'est-à-dire que la levure ne peut plus produire l'uracile et qu'il faut aux cellules un apport extérieur de cette molécule pour pousser en milieu minimum. En présence du vecteur d'expression, qui porte une copie fonctionnelle du gène (URA+), la croissance des cellules est restaurée sur milieu minimum sans uracile (3).

L'expression de la protéine est modulée par un changement de la source de carbone dans le milieu. Dans un milieu minimum en présence de glucose (3a), l'expression de AtClo1 est inhibée alors que dans un milieu minimum en présence de galactose (3b), l'expression de la caléosine étiquetée GFP est induite.

Schema3

Figure 3 - .Présentation du système inductible d'expression hétérologue chez Saccharomyces cerevisiae

6.2 Détermination de la localisation de AtClo1-GFP dans les cellules par la technique de colocalisation en microscopie optique

Afin d'observer l'expression et la localisation de AtClo1-GFP chez Saccharomyces cerevisiae, la souche BY4741-ERG6-RFP est transformée avec le plasmide pGAL-Clo1-GFP. Cette souche exprime de manière constitutive Erg6p (Delta 24 stérol méthyltransférase), une protéine résidente des corps lipidiques impliquée dans la voie de biosynthèse des stérols. Cette protéine sert de « marqueur » des corps lipidiques car elle est étiquetée grâce à la RFP (Red Fluorescence Protein) qui, après excitation à 558 nm, émet un signal de fluorescence à une longueur d'onde de 583 nm. L'expression de la caléosine-GFP est induite par le galactose. La protéine AtClo1-GFP peut alors être visualisée par fluorescence grâce à la GFP qui va émettre un signal fluorescent à 507 nm après avoir été excitée à une longueur d'onde de 488 nm. Les levures sont observées à l'aide d'un microscope AxioImager de chez Zeiss possédant une lampe HBO (fluorescence), une lampe halogène (visible) et des jeux de filtres permettant de recueillir les signaux spécifiques de la GFP et de la RFP et l'image des cellules en contraste interférentiel. L'acquisition des images se fait grâce à une caméra numérique sensible noir et blanc (CoolSnap HQ2, Roper Scientific) pilotée par un logiciel (Axiovision, Zeiss). Les images sont ensuite traitées grâce à un logiciel d'imagerie afin d'attribuer les fausses couleurs correspondantes aux molécules détectées et d'effectuer les superpositions. La présence d'un marquage jaune (rouge + vert) indique l'existence d'une colocalisation (4, flèches) de AtClo1-GFP et de Erg6-RFP au niveau des corps lipidiques montrant ainsi la capacité de la protéine de plante à s'insérer à la surface des corps lipidiques de levure.

Schema4

7. Quelques méthodes d'évaluation de l'impact de l'expression de la protéine de plante sur les corps lipidiques et la teneur en lipides

7.1 Méthodes de caractérisation morphologique des corps lipidiques
7.1.1 Évaluation du nombre et de la taille des corps lipidiques in situ par microscopie électronique à transmission
7.1.2 Analyse des corps lipidiques purifiés par diffusion dynamique de la lumière
7.2 Méthodes de quantification des lipides
7.2.1 Identification et quantification des acides gras totaux par chromatographie en phase gazeuse couplée à une détection par ionisation de flamme (CPG-FID)
7.2.2 Identification des classes de lipides par chromatographe sur couche mince

7.1 Méthodes de caractérisation morphologique des corps lipidiques

Les modifications des corps lipidiques induites suite à l'expression de la caléosine chez Saccharomyces cerevisiae sont évaluées par deux techniques complémentaires : une approche in situ, utilisant la microscopie électronique, et une approche après isolement, utilisant la diffusion dynamique de la lumière assistée par laser.

7.1.1 Évaluation du nombre et de la taille des corps lipidiques in situ par microscopie électronique à transmission

Les cellules exprimant AtClo1-GFP sont préparées (fixation, inclusion et coupe) pour subir une observation en microscopie électronique à transmission . Des prises de vues sont réalisées à partir des coupes ultrafines grâce à une caméra numérique. À partir des images obtenues, les corps lipidiques sont dénombrés dans chaque cellule grâce à un pointage manuel (5). Les mesures de surfaces se font à l'aide du logiciel gratuit ImageJ, développé par le département NIMH du National Institute of Health, et des plugins « Ellipse Roi » et « Measure and Label ». Après détourage des corps lipidiques, les surfaces sont déterminées et les résultats peuvent être transférés vers un tableur ou un éditeur scientifique (5). L'équipe est à l'origine d'un article présentant le logiciel ImageJ et illustrant les approches développées au laboratoire pour l'étude de particules . Nous avons ainsi pu déterminer que l'expression de la caléosine induisait une augmentation du nombre et de la taille des corps lipidiques présents dans la levure. En effet, la microscopie électronique nous apprend que les levures modifiées présentent jusqu'à 18 corps lipidiques par cellule ayant des tailles très variées, avec une majorité de structures de taille supérieure à 60 000 nm2. À l'inverse, les cellules n'exprimant pas la caléosine contiennent environ deux corps lipidiques par cellules et la population présente une taille homogène inférieure à 60 000 nm2 .

Schema5

7.1.2 Analyse des corps lipidiques purifiés par diffusion dynamique de la lumière

Les levures exprimant la caléosine sont récoltées par centrifugation à 3 000 g. Les culots sont repris dans un tampon de broyage (10 mM HEPES, 10 mM KCL, 0,1 mM EDTA, 0,1 mM EGTA) et cassés mécaniquement à l'aide d'une presse hydraulique (One Shot, Constant Systems Ltd), à une pression constante de 2 700 bar. Le surnageant débarrassé de ses débris cellulaires est ensuite ultracentrifugé à 150 000 g sur gradient discontinu de saccharose. Les corps lipidiques, qui sont des entités hydrophobes, flottent à la surface du gradient (2). L'obtention de corps lipidiques purifiés permet une caractérisation plus précise de ces structures (composition en lipides, composition en protéines, tailles). Le nœud technique de cette approche reste la production d'une quantité suffisante de matériel pour mener à bien l'ensemble des analyses biophysiques et biochimiques (2). Les corps lipidiques obtenus peuvent être analysés par diffusion dynamique de la lumière en passant les échantillons dans un appareil de type HPPS (High Performance Particle Sizer, Malvern). Cette technique, appliquée à des particules homogènes en solution, permet de quantifier leur vitesse de diffusion et d'en déduire leur rayon hydrodynamique (qui dépend particulièrement de leur masse et de leur forme). Les tailles de corps lipidiques mesurées vont de 140 à 825 nm de diamètre, avec un pic de population à 340 nm (environ 91 000 nm2) (6).

Schema6

7.2 Méthodes de quantification des lipides

7.2.1 Identification et quantification des acides gras totaux par chromatographie en phase gazeuse couplée à une détection par ionisation de flamme (CPG-FID)

Cette méthode d'analyse permet l'identification de composés capables de passer à l'état gazeux. Pour observer le profil des acides gras présents dans l'échantillon, il est nécessaire de réaliser une réaction d'estérification des triglycérides (glycérol + trois acides gras). Cette réaction est effectuée sur des levures lyophilisées. L'action du méthanol sur les triglycérides et les esters de stérols permet la libération des acides gras sous forme d'esters méthyliques d'acide gras (FAMES) (7) . Ces composés, extraits du milieu réactionnel par l'hexane, sont désormais plus volatils et il est donc possible de les analyser en CPG-FID (7890A, Agilent). Les FAMES obtenus sont injectés sur une colonne capillaire polaire (Factor Four VF-23ms, longueur 30 m, diamètre 0,25 mm, Varian). Les composés sont séparés en fonction de la longueur de leur chaîne carbonée grâce à un gradient de température. Ainsi les acides gras estérifiés de courte chaîne très volatils (par exemple C10:0) sont décrochés de la colonne à basse température. Les FAMES plus longs (par exemple C18:0) sont libérés en dernier à la fin du gradient de température appliqué sur la colonne. On identifie ainsi les différents FAMES grâce à leur temps de rétention sur la colonne (7).

Schema7

L'ajout d'un étalon interne (acide gras C17:0, absent chez les levures) avant le traitement des échantillons permet d'effectuer la quantification de chaque espèce de FAMES (rapport des surfaces de pics). Ainsi, nous avons pu montrer que l'expression de AtClo1-GFP chez Saccharomyces cerevisiae induit une augmentation de la quantité d'acides gras à longues chaînes C16:0, C18:0 et surtout des acides gras insaturés C16:1(n-7) et C18:1(n-9) de +46 % (acides gras totaux) par comparaison avec la souche non modifiée génétiquement (7).

7.2.2 Identification des classes de lipides par chromatographe sur couche mince

La chromatographie sur couche mince (CCM) permet à la fois l'identification des classes de lipides et l'évaluation de leurs quantités relatives. Les lipides totaux sont extraits des levures lyophilisées à l'aide de mélanges de solvants (chloroforme/méthanol 2:1 v/v) par la méthode de Folch. Les lipides ainsi isolés (ici deux extractions par souche et deux quantités par extraction) sont déposés au bas d'une plaque de silice et leur séparation, basée sur la polarité de chaque molécule, se fait à l'aide de mélanges de solvants adaptés (première phase : éther de pétrole, éther éthylique, acide acétique 10:10:0,4 v/v/v ; deuxième phase : éther de pétrole, éther éthylique 49:1 v/v) (8). Les différentes classes de lipides sont révélées par brûlage après un traitement au manganèse sulfurique. Par comparaison des échantillons et d'un marqueur dont la composition est connue, il est possible de définir les différentes familles de lipides contenues dans la levure. Une image numérique des plaques est obtenue à l'aide d'une caméra CCD couplée à un logiciel d'acquisition (LAS3000, Fujifilm). Le signal correspondant à chaque classe de lipides est quantifié à l'aide du logiciel MultiGauge (Fujifilm) et les résultats sont transférés vers un tableur pour la représentation graphique. Nous avons ainsi pu montrer que l'expression de la protéine végétale chez la levure n'induit aucune modification significative de la teneur en acides gras libres, en phospholipides et en stérols des cellules. Par contre, il est possible de mettre en évidence une augmentation notable des monoglycérides, diglycérides et triglycérides ainsi que des esters de stérols, ce qui correspond spécifiquement aux lipides de réserve présents dans les corps lipidiques (8).

Schema8

8. Conclusion

Grâce à l'utilisation d'un système performant d'expression hétérologue chez la levure S. cerevisiae, nous avons pu augmenter la capacité de stockage en lipides en jouant sur le corps lipidique. Le corps lipidique est l'organite de mise en réserve des lipides cellulaires. Ces lipides neutres, esters de stérols et triglycérides, sont des molécules clés pour la chimie verte. Nos connaissances sur le corps lipidique de graines nous ont amené à nous intéresser aux protéines structurant cet organite, les oléosines. Ces protéines, qui stabilisent et dirigent la mise en réserve des lipides dans les graines, semblaient être de bons candidats pour effectuer un travail de génie génétique chez la levure. En effet, l'expression chez S. cerevisiae d'une de ces protéines, la caléosine AtClo1, a eu pour conséquence d'augmenter le nombre et la taille des corps lipidiques formés. Cette modification s'accompagne d'un stockage accru des lipides de réserves, augmentant ainsi la richesse des cellules en acides gras insaturés. Ces résultats sont encourageants dans le cadre de nos projets de recherche visant à développer de nouveaux systèmes de production de lipides à façon. Toutefois le rendement en lipides totaux reste encore insuffisant pour envisager l'utilisation de cette souche modifiée dans la production d'énergies renouvelables. Actuellement, nos objectifs sont d'accrìoître le rendement en huile des cellules et d'orienter la composition en acides gras vers des acides gras insaturés ou à courte chaîne carbonée afin de produire des molécules aux propriétés physico-chimiques intéressantes. Pour cela, nous collaborons avec d'autres équipes de recherche afin de combiner des approches de génie génétique, expression hétérologue mais aussi modification des voies métaboliques de S. cerevisiae, avec des approches d'ingénierie métabolique.

Voir: http://tinyurl.com/bv3uo8f

Patrick Barbieri
PB VEILLE CONSULTING
L'information au service de l'entreprise

http://www.pb-veille-consulting.com

 

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